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allaitement et vih

Source : TRT-5 CHV

Les consignes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sont claires : émises dès 2009 et confortées en 2016 et 2021, l’OMS recommande aux mères vivant avec le VIH un allaitement exclusif, pendant les 12 premiers mois de l’enfant, dans les contextes de prise en charge permettant l’accès au traitement antirétroviral et un accompagnement à l’observance[i].

Ces recommandations ne répondent plus seulement à une réalité matérielle de difficulté d’accès à l’eau potable ou à du lait artificiel de qualité dans les pays à ressource limitées, mais sont la reconnaissance :

        – de l’efficacité du traitement antirétroviral dans la protection de la transmission mère-enfant[ii] du VIH,

        –  des nombreux bénéfices de l’allaitement au sein pour la santé du nouveau-né, comme pour celle de la mère[iii].

Cependant, dans la majorité des pays à ressources élevées, dans lesquels le lait maternisé est facilement disponible, l’allaitement maternel était jusqu’à récemment déconseillé, voire proscrit. Dans la plupart des recommandations européennes, l’allaitement artificiel reste toujours la seule prévention totalement efficace de la transmission postnatale du VIH.

En effet, si le concept Indétectable = Intransmissible (I=I) ou Traitement as prévention (TasP)[iv] est aujourd’hui largement admis pour la transmission du VIH par voie sexuelle, notamment grâce aux enquêtes PARTNERS[v]qui montrent une absence de transmission du VIH au sein des couples sérodifférents avec une charge virale indétectable confirmée, beaucoup reste à faire pour mieux comprendre les mécanismes de la transmission du virus par le lait.

Quels sont les risques de transmission du VIH par l’allaitement maternel ?

Le fait que l’indétectabilité de la charge virale réduit significativement le risque de transmission mère-enfant, y compris pendant l’allaitement, fait consensus dans la communauté scientifique. Néanmoins, interrogés sur les risques de transmission du VIH par l’allaitement maternel, les experts font part d’inquiétudes fondées sur 2 hypothèses :

        – une transmission de virus libre : car les risques d’exposition par allaitement diffèrent de l’exposition par voie sexuelle :

                    – la présence de virus libre dans le lait maternel représente une possible exposition en moyenne 8 fois par jour durant plusieurs mois, soit une quantité de vecteur viral bien supérieure à celle retrouvée dans les sécrétions génitales lors d’un rapport sexuel ;

                    – le fait que la vulnérabilité de la muqueuse digestive du nouveau-né n’est pas comparable à celle de la muqueuse ano-vaginale.

      – une transmission par des cellules infectées présentes dans le lait maternel, qui seraient moins sensibles aux antirétroviraux pris par la mère, et donc potentiellement la présence d’ADN viral intégré, qui pourrait induire une contamination malgré une charge virale indétectable.

Cependant, ces hypothèses restent encore aujourd’hui à valider scientifiquement et actuellement, il n’y a pas de données publiées qui permettent de connaitre le risque de transmission lorsque la mère est en succès virologique car il n’y a pas de grandes cohortes incluant des mères ayant une charge virale constamment indétectable.

Que dit la recherche ?

La littérature fait référence à 3 cas de transmission postpartum (après l’accouchement) qui pourraient être attribués à l’allaitement alors que la charge virale de la mère est contrôlée au moment de la découverte de la séropositivité de son enfant. Les 2 études citées se sont déroulées dans des pays du Sud à ressources limitées[vi] :

 – L’étude PROMOTE[vii] décrit un cas de transmission attribué à l’allaitement, détecté à la 56ème semaine de vie de l’enfant alors que la charge virale de la mère était contrôlée (seuil de détection à 400 copies/ml). A noter que dans ce cas, le traitement avait été initié pour la maman à la 23ème semaine de grossesse et que sa charge virale restait détectable lors de l’accouchement (30 800 copies/ml) et à 8 semaines post-partum ((4 270 copies/ml). L’allaitement a duré 12 mois. La séropositivité de l’enfant a donc été découverte après le sevrage.

–  L’étude IMPAACT PROMISE[viii], relate 2 cas de transmission alors que la charge virale de la mère est indétectable (inférieure à 40 copies/ml) : « Dans un cas, cette charge virale est encore discrètement détectable quelques semaines avant la transmission à l’enfant ; dans l’autre cas, la charge virale était constamment indétectable. Il reste très difficile de savoir à quel moment ces transmissions ont réellement eu lieu. Notons cependant que dans les 2 cas, la charge virale de la mère n’était pas indétectable à l’accouchement, ce qui laisse aussi la place à une transmission per-partum détectée tardivement du fait du passage des antiviraux dans le lait maternel. »

Et cette même étude de conclure : « Compte tenu de l’effectif de l’étude, on peut dire que ces évènements de transmission sont exceptionnels quand la charge virale reste indétectable pendant toute la période d’allaitement, mais que l’on ne peut pas démontrer le U=U [I=I ndlr] de l’allaitement pour l’instant, compte tenu des 2 cas de transmission rapportés. (…). »

Pour une transposition des résultats de cette étude dans le contexte européen, cela nous permet au moins dans un premier temps de pouvoir annoncer un ordre de grandeur du risque maximal pour les femmes souhaitant allaiter : le risque est inférieur à 2/1220. On peut penser que les femmes ayant eu une charge virale indétectable pendant toute la grossesse (ce qui est le plus souvent le cas en Europe mais pas dans l’étude) et pendant l’allaitement ont un risque estimé de 0,16% soit  inférieur à celui qui a été mesuré ici .

Ces résultats, qui plaident en faveur d’un risque résiduel de transmission en cas de charge virale indétectable de la mère, posent néanmoins la question de l’effet protecteur des antirétroviraux dans le lait maternel (qui retarderait la détection du virus chez l’enfant) et ne permettent pas d’exclure une transmission pendant la grossesse ou l’accouchement.

Parallèlement, une méta-analyse de données américaines et africaines, présentée à la conférence de la CROI 2022, montre un lien clair entre surmortalité et allaitement chez les enfants séronégatifs à la naissance et nés de mères séropositives[ix].

Comment les recommandations actuelles interprètent-elles ces données ?

Ces dernières années, les directives européennes[x], allemandes-autrichiennes[xi], suisses[xii], australiennes[xiii] se sont enchainées pour recommander que les femmes vivant avec le VIH souhaitant allaiter soient soutenues dans leur choix et bénéficient d’un suivi clinique et biologique renforcé pour elles-mêmes et pour leur enfant. Ces recommandations soulignent l’importance d’un « scénario optimal » nécessaire à la mise en place de l’allaitement (indétectabilité (CV < 50 copies/ml) pendant toute la grossesse, stricte  observance, suivi médical régulier) et s’accompagnent de règles claires sur les modalités de l’allaitement (arrêt de l’allaitement en cas d’infections (mastite, muguet, etc.), durée conseillée de 6 mois, sans excéder les 12 mois, sevrage progressif dès l’âge de la diversification alimentaire,  allaitement mixte maternel/artificiel déconseillé, etc.).

Cette nouvelle position témoigne d’une volonté claire, dans l’attente de nouvelles données fiables et validées, de reconnaitre la capacité de la mère (ou des parents) à faire un choix éclairé pour sa santé et celle de son enfant. En France, à l’heure où les recommandations sont en cours d’actualisation, nous espérons une position semblable de la part de nos experts.

Un besoin de données supplémentaires

S’il n’a pas été reporté de toxicité chez l’enfant allaité par une femme sous traitement antirétroviral, les pistes de recherche pour mieux comprendre le risque de transmission du VIH par l’allaitement sont nombreuses[xiv] : liens entre charge virale dans le sang, dans le lait et transmission du VIH (étude ANRS actuellement en cours en Zambie), meilleure connaissance des réservoirs viraux, possibilité de transmission de cellules infectées présentes dans le lait maternel, PrEP chez le nouveau-né, etc. Des recherches sont également nécessaires pour définir la fréquence du suivi biologique du couple mère-enfant, connaitre les risques associés à l’allaitement mixte qui favoriserait les risques d’infection, informer le choix de la durée de l’allaitement, etc.

Découvrez la fin de l'article et la bibliographie complète sur le site : TRT-5 CHV

Signataires :

Collectif TRT-5 CHV (Act Up Paris, Act Up Sud-Ouest, Acceptess-T, Actif Santé, Actions Traitements, Aides, Arcat, Asud, Comité des familles, Dessine-moi un mouton, Nova Dona, Hépatites/Sida Info Service, Sol En Si)
COREVIH Arc Alpin
Ikambéré
Réseau Santé Marseille Sud
Uraca-Basiliade